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20 décembre 2013 5 20 /12 /décembre /2013 10:45

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Déjà cinq heures, il faut me lever encore, toujours. J’avale un café et j’enfile lentement mon transport en commun qui m’emmène au boulot chaque jour. De la gare il reste dix bonnes minutes à pied avant de franchir les grilles de salaires, qui n’ont presque pas bougé depuis des années. Fabrice est arrivé plus tôt ce matin, c’est vrai qu’il doit rattraper des années d' ancienneté pour revaloriser la retraite de son fils.

 

Il y a queue aux pointeuses téléphoniques aujourd'hui : les demi-chômeurs de longue durée viennent oblitérer leurs quatre heures nocturnes qui reconduisent les droits à l'assurance maladie.

Pierre, offusqué, me disait récemment que des clandestins, travaillant avec les papiers de cousins à eux, venaient vendre des clopes au black pendant les cessions de jours des heures nocturnes (amendement interne concernant les dérogations relatives à la fléxi-docilité en zone péri rurale). Comble du scandale, ils étaient pratiquement intouchables depuis que la boîte, délocalisée à l'est il y a deux ans, avait réintégré le territoire sous protectorat économique espagnol. je lui répondu que si on décrochait la carte d'identité espagnole ce serait toujours mieux, que leur régime compensatoire à l'huile d'olive est très bon pour la santé, voilà ce que je lui ai répondu.

 

Mon poste de travail est identique à hier soir, il pue la sueur et le tabac froid ; il faudrait que je le mette à laver, quand même, par respect pour les collègues.

Et la routine, de nouveau, qui fait que chaque jour, différent du précédent, s’accumule à ceux à venir. Ce n’est pas que ce soit un boulot pénible mais quand même… Après douze années passées à calibrer des ouvriers sur la même chaine, le temps me semble long.

 

Il y a des jours où on a vraiment envie de se saboter, se bousiller les jambes par exemple, pour ne plus pouvoir venir trimer sur sa damnée machine.

L’autre jour Bila a eu une idée : sortir de cette multi-coopérative autogérée, et tenter de revendre nos bécanes à un patron, pour qu’on puisse les casser, elles, au lieu de nous mutiler connement. Je trouve qu’il exagère mais je le comprends ; dans son bureau ce sont deux collègues qu’il a vu partir à l’hosto ce mois-ci, une jeune stagiaire qui s’est crevé les yeux devant son écran, et Odette, qui s’est déprimée complètement, un soir, seule, dans les vestiaires avec un rasoir à causalité multiple.

Ca fout les boules de voir ça, mais je lui ai dit : « de là à trouver un patron, t’y vas fort quand même ».

Elle n’a rien répondu, a à peine esquissé un rictus et est retourné bosser.

Pauv’ Bila, elle fera pas de vieux os ici...

Tiens, à propos de vieux os, j’appellerai mon mari à midi pour lui demander à quel âge prendre ma retraite. Cinquante, soixante-cinq ans, plus ? Les Congrégations Unifiées Libres et Syndicales sont divisées sur la question (ou sur la réponse je ne sais plus) et à deux jours du vote je n'ai toujours pas reçu mon calcul individualisé, à cause, parait-il, du fait que je n'ai pas encore assez d'annuités pour ouvrir mon droit au calcul de mes droits. Peut-être devrais-je prendre ma carte de retraite chez les Syndicats Libertaires Inter Professionnels.... 

 

En tout cas, voir les enfants trente-cinq heures ça nous change la vie.

 

A dix-huit heures trente, Josiane me propose de me ramener hagard de l'Est, à deux pas de chez moi. J’accepte, c’est toujours dix minutes en plus pour réfléchir à la maison sur ma journée de demain. Les camarades sont contents, ce soir c’est demie-finale du Championnat de Ligue Révolutionnaire A.

Marseille devrait l’emporter.

Me voilà rentré, épuisé. Je m’en rends compte en fait, il me tue ce boulot. J’en parlerai au prochain rendez-vous avec la médecine du travail. C’est dans un an je crois.

En attendant il faut que je dorme parce que demain on m’envoie en intervention sur un accident du travail. Ce sera peut-être un suicide. J’espère que ça ne tombera pas sur moi, avec le bol que j’ai en ce moment et le chef toujours sur le dos…

 

Précisions pour les ignares en termes de suicide au travail:

 

Décembre 2017, la prestigieuse et néanmoins honnie Sino-European « Desease and Death » Insurance Corporation décida du relèvement des taux de suicides mensuels dans le cadre des réajustements des coûts du travail. En effet, après la grande vague de suicides de 2003, les gouvernements d'Europe et d'Asie, pour satisfaire les syndicats, acceptèrent d'indemniser ces suicides, et, dans la foulée, firent voter au Conseil Suprême Légal la rétrocession du droit au suicide et de son application aux seuls employeurs, afin qu'ils deviennent, juridiquement, à la fois responsables et propriétaires de la totalité de chacun de leurs salariés (article 413 tiret 2 du nouveau code du travail, paragraphes 3,4, et 5).

Triste supercherie quand on sait que ceci fut rendu possible au Salon de l'embauche et de la précarité de 2001, où se rencontrèrent par hasard les Chanceliers Khûl et Zeigang,  responsables des zones nord et sud du commerce européen, et qu'ils se firent paraît-il cette triste promesse : « ah ils veulent plus travailler ? Et bien on va tous les niquer ces p'tits bâtards ! ».

Toujours est-il que depuis cette infâme indexation, les cadences ont augmenté, jusqu'à atteindre en 2027 le nombre record de 4.17 suicides-jour pour les entreprises de plus 20 salariés, soit une hausse comptable et prévisionnelle sur les arrêts maladies de plus de 423.5 millions de yens annuels par Etat, à transformer en dividende et cash-options variées. 

Ce n'est qu'en 2030 que la situation mit un terme au réel, et que commença la fin,... enfin pour eux. Oui car du coup le début commença aussi. Bref.

A cette époque un peu partout l'on réagissait. La production mondiale peinait. Cette "balle" spéculative, comme en riaient les actionnaires, ralentissait trop l'économie. Trop peu de masses saines labeuraient trop pour vivre peu et dépenser rien.

Au sein des premières grèves de 2030, on a pu observer la rapidité avec laquelle les idées des groupes Prolétariat Pas Mort étaient mises en pratique. Enfin l'idée, puisque il n'y en avait qu'une sur leurs programmes numériques, seule trace restante de leur existence supposée.

Mais le fait est là, partout dans le monde, en à peine une année, les patrons furent déroutés, presque tous durent mourir, soit presque 1.500.000 personnes achevées dans d'atroces bureaux. Les sites d'exploitations furent presque tous ravagés. Quant aux Etats transnationaux et leurs dirigeants, sans leur police (si maladroitement et massivement transférée aux secteur judiciaire pour pallier à la pénurie de main d'oeuvre qui sévissaient dans les nombreux procès pénaux d'assimilation), ils connurent le destin que vous savez.

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nonsstops@riseup.net

 

Avant...

« Ce pouvait être vrai que le niveau humain fût plus élevé après qu'avant la révolution. La seule preuve du contraire était la protestation silencieuse que l'on sentait dans la moëlle de ses os, c'était le sentiment instinctif que les conditions dans lesquelles on vivait était intolérables et, qu'à une époque quelconque, elles devaient avoir été différentes."

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